Lore Rabaut & Frank Depoorter - INCLUS LA MEMOIRE

14/01/2011 > 19/02/2011

White Space/ Bart Verschaffel
Département d’architecture et de planification urbaine - University Ghent

L’ouvrage – ou plutôt, le livre- se rapporte à la « lisibilité ». N’importe qui ouvre un livre ,veut lire, ou au moins, donner un nom à ce qu’il ou elle voit : on s’attend à des mots, ou à des images limpides, dénommables. Cependant, dans le cas présent, la lecture commence avec une sorte de suspense : il n’est pas possible (tout de suite) de « savoir ce qu’on voit ». Ce à quoi nous sommes confrontés- pour celui qui ouvre le livre et le feuillette pour la première fois, ce sont des (petits) « événements » qui se passent sur une page, tout au long du livre, pendant tout un livre. Aussi, il ya d’abord une impression d’homogénéité ; il apparaît évident que les images sont interchangeables et que tout se déroule dans le même espace.
Puis de petites différences commencent à jouer un rôle. On est frappé qu’à chaque fois, seulement une partie de l’image- précisément les petites différences- sont «claires » ou lisibles.
Les petits événements sont « des apparitions ». Presque miraculeusement, la page, la surface blanche, s’ouvre et c’est comme si une brume blanche, laiteuse, remplissait la profondeur de la page. Puis dans cette brume, quelque chose apparaît, quelque chose se détache indistinctement. Et avec ce « quelque chose », des différences émergent : les petits choix se rapportent à ce qui va apparaître, à la manière dont l’apparition définit «son environnement » et laisse supposer la nature de cet environnement plus large. En bref : l’apparition d’une figure nous fait suspecter le « gestalt », l’ensemble du monde dans la surface d’un blanc laiteux. A « quelque part » doit correspondre « quelque chose ».
Parfois l’image sur la page semble faite de signes- traits- sur une feuille de papier, sur une surface. Parfois, cependant, un « objet » distinct apparaît. Les traits lui donnent alors du volume et de la profondeur puisque nous pouvons regarder à l’intérieur et au travers de celui-ci. Le trait projette une ombre légère et ainsi c’est un bord qui va définir une chose qui elle-même possède une certaine masse. Par ailleurs, comme l’ombre ne peut pas être projetée sur « rien »- « quelque chose » doit capter l’ombre- le trait suggère aussi le sol ou un mur. Cependant l’objet ne sort jamais de lui-même avec énergie. La projection irradie rarement également de tous les côtés, ce qui permettrait à l’objet de se libérer et de devenir autonome, c-à-d, se détacher de son fond et devenir un objet dans l’espace quelque chose qui quelque part occupe une certaine place, quelque chose qui remplit un vide existant. Car souvent les bords de l’autre côté de la « chose » se dissolvent dans le blanc, dans la brume, dans la surface, et il n’y a donc rien pour attraper l’ombre. La « chose » que nous voyons est ainsi rarement « entièrement » là. Et non pas parce que elle faite de fragments ou de pièces. Le spectateur n’a pas l’impression que quelque chose manque : toutes les apparitions sont « complètes ».
C’est juste qu’elles n’apparaissent pas « complètement ».
Un élément essentiel est toujours –qu’il apparaisse ou non- le socle. Le socle crée l’endroit. Le socle signifie : bas. Quand l’objet se trouve dans un endroit bien défini, avec des petits trais d’ombre sous l’image, entre l’image et ce qui est au-dessous, le blanc devient : sol.
C’est plus qu’une surface et plus qu’un espace abstrait : dans cet exemple il y a aussi le haut et le bas, la gravité, l’effet des forces de maintien et de soutien. Ce que nous voyons n’est pas une apparition dans l’espace mais un objet dans « un monde ». « L’apparition » devient « une chose » seulement quand il y a aussi « sol ». Ce type de représentation est le plus puissant quand nous ajoutons le sol, sous l’apparence de socles qui sont empilés l’un sur l’autre, jusqu’à devenir une masse dense, opaque. Rien que le sol.
Toutefois, ce qui apparaît dans les photographies n’est habituellement pas un objet, mais « une construction » :
Un tout composé de surfaces (« murs ») et de traits (« pôles ») qui peuvent ou non être attachés à un « sol » : la construction soit flotte dans l’espace ou est attachée à un sol. Dans chaque cas, la construction définit un espace, l’espace « entre » les composants. La construction est structurée, bien définie dans ses proportions et les positions de ses composants. Nous reconnaissons donc des boîtes, des chambres, des faisceaux et des cavités. Parfois des éléments isolés deviennent reconnaissables. Ils portent des noms qui ont été tirés du monde ; il y a une clé qui indique la position d’un seuil, d’une entrée, d’un trou, d’une fenêtre et d’un escalier. Les débuts de l’architecture. Mais c’est fascinant de voir la façon dont cette clarté est localisée, et « irradie » seulement faiblement. La clarté est une tache qui fonctionne dans un centre mais est incapable de sortir et projeter une structure sur l’environnement. La page entière n’est ni structurée ni dominée. Tout autour, il y a du vide ou rien –lequel des deux exactement, ce n’est pas clair.
En fait, ce livre est une collection d’images « élémentaires, une série de tests, dont l’ensemble représente la première fraction de la seconde après la naissance de l’Univers. Chaque page est un commencement.







Livre, Une Pièce / Christophe Van Gerrewey
Unité d’enseignement et de recherche - Architecture & Urbanisme - University de Ghent

Lore Rabaut et Frank Depoorter ont pris le plan du sol de la Witte Zaal comme point de départ pour des douzaines de maquettes. En parcourant le livre photo des modèles, l’impression que nous en avons est différente à chaque page. Les objets dans l’espace deviennent autonomes et font références à de nouvelles constructions et à de nouveaux espaces, chacun différent des autres sur le plan de l’échelle, la taille, la matérialité, la luminosité, le statut et l’utilisation potentielle. Cependant dans chaque exemple, nous percevons encore le point de départ- le plan du sol, qui est en fait une adaptation de la réalité, de l’espace réel appelé la Witte Zaal, située quelque part dans Gand.
Il ya un jeu auquel les gens jouent parfois. Quelqu’un chuchote une histoire qui est à arrivée, à lui ou à elle, à l’oreille de quelqu’un d’autre etc, jusqu’à ce que chacun a passé l’histoire à quelqu’un d’autre. La dernière version de l’histoire est alors comparée avec l’originale.
Stupéfaction, surprise, étonnement : l’histoire finale est différente et les événements en sont arrivés à mener une vie propre magnifique. Livre, Une Pièce, n’est-il pas semblable à ce jeu ?
La réalité – un événement, une pièce- a été « enregistrée » une fois lors d’un témoignage, dans un plan. Les erreurs surviennent alors dans les reproductions : des mots, des qualités, des caractéristiques sont « comprises » de manière incorrecte et réapparaissent comme quelque chose de différent.
Le plaisir du jeu réside dans les erreurs potentielles qui peuvent être faites et dans le fait que les nouvelles versions de l’histoire deviennent autonomes dans les oreilles et la bouche de tous les participants. Livre, Une Pièce n’est –il pas aussi une ode à la beauté et à l’impossibilité de la représentation et de la reproduction ?
Bien sûr, les photographies et les constructions de Livre, Une pièce devraient être autorisées à vivre une vie artistique propre, indépendante de leur origine et de leur première inspiration, de la même façon qu’avec les histoires et les personnages, il n’est pas vraiment importants de savoir ce qu’ils étaient « réellement », ou ce qui est « réellement » arrivé. Mais d’un autre côté, on ne devrait jamais oublié que dans cet exemple précis, nous n’essayons pas de trouver la « réalité » de l’auteur mais notre propre « réalité ». Quand nous lisons « A la recherche du temps perdu » de Proust, nous « composons » un personnage important comme le baron de Charlus avec nos propres souvenirs, expériences, coïncidences, avec les événements qui se sont passés le jour que nous avons lu l’histoire, avec les événements quoi se sont passés au cours de notre vie entière- beaucoup de la même façon que Proust a crée le baron de Charlus avec des parties de lui-même, de son père, de connaissances, de personnages littéraires, de figures historiques célèbres et de personnes entièrement imaginaires, qui n’existent pas. Le même est vrai pour l’histoire qui est passée par un groupe d’enfants. Le premier auteur a « réellement » vécu les faits au travers de son expérience, pour autant il ou elle n’est pas plus proche des faits que l’ami qui est la dixième personne à raconter l’histoire. Et le même est aussi vrai pour Un livre, Une Pièce : un livre, des photos, des modèles réduits, des constructions, ne sont jamais des sculptures silencieuses- ils essayent de faire référence à « quelque chose », peut-être même « imitent » quelque chose. Alors que nous contemplons ces œuvres d’art, nous ne devrions pas essayer d’en réduire l’image à celle de témoins fiables du processus qu’ont traversé les artistes et qu’ils ont fait passer à l’espace. Les images devraient plutôt devenir « quelque chose » individuellement pour chaque spectateur. Et ce quelque chose, quelle que soit la façon avec laquelle vous le regardez, trouve son origine dans le monde réel, dans lequel la Witte Zaal existe quelque part.
Cette tentative de saisir le monde réel est inévitablement comme une mémoire. Il est tout à fait impossible de lire ou de feuilleter un livre, et tout en même temps le mesurer ou le comparer avec quelque chose d’autre - même si ce quelque chose est rangé dans notre propre cerveau. En premier lieu, l’acte d’interpréter ou de « classer» quelque chose est caractérisé par le temps passé depuis l’acte de regarder et d’observer.
On devient le souvenir de l’autre. Dans L’Art de la Mémoire, France Yates rapporte une anecdote merveilleuse à propos de Simonidès. Le poète récite un poème pendant un banquet. Au milieu de celui-ci, il est appelé dehors par deux hommes. Cependant il n’y a personne dehors ! Au même moment la salle de banquet s’écroule et il n’y a aucun survivant. Les dieux Castor et Pollux, qu’il a loués considérablement dans son poème, ont sauvé Simonidès. En se souvenant où les victimes se trouvaient à table, Simonidès est capable d’identifier les corps très mutilés. La vérité est la même pour l’histoire, pour La Recherche de Proust, pour Un Livre, Une pièce – et pour l’art : comme les dieux, ils nous appellent loin de la réalité, loin du lieu de la catastrophe imminente. Alors, par après, simplement de mémoire, nous reconstruisons la fiction de ce qui en fait déroulé.