Un Royaume sans Frontiere

Michel Couturier
14/12/2018 > 27/01/2019

Michel Couturier


« Iconologies »
par Annabelle DUPRET

Dans l’œuvre de Michel COUTURIER se jouent l’exercice symbolique et le pouvoir à l’image (ses formes invisibles comprises). La place de l’image y est cruciale, telle une question posée de rapport au monde. Elle semble aussi relever d’une action qui ne peut être entamée que par son auteur seul, par-delà les contraintes symboliques agissant personnellement sur lui et sur les environnements dans lesquels il se place. Le travail de Michel COUTURIER, dont la situation d’auteur/capteur se place au cœur de décors à la fois ouverts et contraignants, se situe donc à l’opposé d’une forme sociale performative qui traduirait un partage d’expériences vécues. La question de son rapport à l’environnement dans lequel il saisit ses prises est, quant à elle, déterminante.

Comme Michel COUTURIER l’explique, partant de ce qu’il ne maîtrise pas complètement (selon ses termes), il se place, par la photographie, par la vidéo ou par le dessin, là où se présente pour lui, « par la force des choses », un rapport de situation, contraignant sous certains aspects mais également iconique, une fois que ce rapport apparaît à l’image. C’est ainsi que dans ses réalisations d’affiches se croisaient sur un même support des bribes de textes issues de la mythologie grecque et le dédale de la mythologie marchande contemporaine : des vues de ces zones déterminées de parkings de supermarchés où les faits et gestes sont inexorablement contraints par un espace qui n’est lisible qu’à la condition de s’incliner à ses diktats.

Chez Michel COUTURIER, la dimension poétique flirte toujours avec les limites en présence. À titre d’exemple, on peut se souvenir de ses performances antérieures qui consistaient à allumer un feu, sans visa préalable, dans un espace public, avec la contribution d’un ou plusieurs autres intervenants choisis. Ce qui déterminait ces opérations plastiques et actées, ce n’était pas tant la vivacité du soulèvement ainsi formulée en performance que l’articulation, à l’œuvre, entre la limite d’une expression évocatrice et son absence complète d’incidence sur l’autorisation officielle et publique à la réaliser (étant allumés dans l’espace public, rien ne permettait de savoir au préalable si l’action serait interrompue par une autorité quelconque). La question de la limite et des formes invisibles des pouvoirs symboliques y tenait donc déjà une place de choix.

L’œuvre de Michel COUTURIER a souvent présenté et réitéré cette articulation précise, par l’acte et en image. Formes invisibles à l’image par excellence, l’artiste pouvait également pointer de plus près (avec l’allumage de ces feux mais également dans nombreuses de ses œuvres) l’autorisation tacite que le public attribuerait erronément à la réalisation d’une image ; mais il pouvait aussi, simultanément, questionner sa propre autorisation à la réaliser. Plus largement, il s’est souvent agi, pour l’auteur, de se mettre en contact avec des obstacles réels mais invisibles tout en les laissant justement se formuler, presque à son insu, dans l’architecture visuelle de ses images.

Au final, ce qui apparaît, tant dans les formes trouvées que dans les sujets choisis par Michel COUTURIER, c’est autant l’existence propre de l’image dans l’espace que ses limites inéluctables également. C’est ainsi qu’il confie : « Quand j’ai commencé à m’intéresser à l’art, il y avait l’art minimal, il y avait Carl André etc. Cette question de la présence, plutôt que de la représentation, est toujours restée très importante pour moi ». Cette confidence révèle ce que Michel COUTURIER continue à proposer au regard : une poétique concrète et une présence/absence qui ne cesse d’être constitutive de son œuvre (la sienne lors de ses repérages dans ces lieux codifiés, celle de ses sujets lorsqu’il les découvre, mais aussi celle de ses œuvres s’offrant dans leur unicité à la vue du public)...
Cette exposition à la Galerie CERAMI est, dès lors, une occasion donnée de plus pour le public de se mettre en présence des images (affiches, photographies, et dessins de grand format) et de s’offrir une occasion nouvelle d’appréhender leur iconologie autant que leur iconicité.


Novembre 2018