INDOCILES. VINCEN BEECKMAN , PHILIPPE HERBET ,

13/01/2006 > 11/02/2006

INDOCILES
PHOTOGRAPHIES DE VINCEN BEECKMAN , PHILIPPE HERBET , ROEL JACOBS

Il y a ce que l’on dit et ce qu’on laisse entendre. En photographie, il y a ce que l’on montre et ce qu’on laisse voir. Entre ces deux pôles, des tendances, des écoles, des styles.

En cadrant ses maisons isolées de manière frontale, Roel Jacobs semble avant tout soucieux de montrer. Résolument, à la manière des documentaristes. D’emblée, on pense aux séries innombrables des typologies allemandes décrivant un monde façonné par la reproductibilité technique, un univers où le singulier n’a pas sa place, un réel sans accident. On y pense à tort car, précisément, chacune de ces maisons nous dit à l’évidence qu’elle est un accident, chacune d’elle affiche avec une belle insolence sa singularité. En fait, sous l’apparente docilité de ces bâtisses toutes sagement déposées sur la ligne d’horizon, il faut percevoir la résistance à rentrer dans le rang. Pas loin de celle du photographe qui joue ici du paradoxe pour nous laisser voir le contraire de ce qu’il nous montre.

Puisqu’il nous livre ses images avec l’air de ne pas y toucher, Vincen Beeckman devrait être du côté de ces artistes qui confient au public le soin d’élaborer le sens de ce qu’ils lui désignent. On croit reconnaître là cette vogue du quotidien donné en vrac, de l’anti-académisme des prises de vues, du self-service de l’art en quelque sorte. On s’égare à nouveau. Ces photographies-là montrent avec beaucoup plus d’insistance qu’elles ne le laissent croire, justement parce qu’il n’y a rien de systématique dans le travail de leurs couleurs et de leurs compositions. Sous des allures chaotiques, elles nous touchent de manière précise en décochant ces détails qui tuent. Ainsi, on ne croit pas longtemps au sourire débonnaire et quelque peu convenu de la grand-mère en robe à carreaux. La dentelle qui pointe à l’échancrure, la cuisse dévoilée et surtout l’exhibition de ce collier vert plastique replace l’ensemble à sa juste place. Celle, triste, de la démence au bout d’un couloir de maison de repos.


Échaudés par deux jugements trop hâtifs, on n’oserait plus se risquer à voir dans le travail de Philippe Herbet cette alchimie entre l’évidence et l’imaginaire. On se trompe une fois de plus car ses photographies en sont le plus parfait exemple. Sa gare est bien celle de Moscou, la TV blafarde a vraiment été photographiée à Mourmansk, et le moustachu s’appelle effectivement Mehmet. Ce que l’on voit correspond à ce qu’il a vu, mais aussi à infiniment plus. Ces vues, plus que des souvenirs, sont l’évocation du voyage même . Elles donnent en tout cas le sentiment du regard en apesanteur de ceux qui sont en route et perçoivent le monde dans le mouvement. De ceux qui saisissent joyeusement ce qui se présente à l’œil en échappant au poids de l’inertie, à la lourdeur du préjugé. Et peu importe si le périple nous emmène à Seraing ou ailleurs, pourvu qu’on aie l’ivresse.


Il y a ce que l’on écrit sur la photographie et, apparemment, au moins trois façons subtiles de photographier en échappant à l’ordre du discours.




Jean-Marc BODSON