Pol Pierart - Je peins donc nous sommes

02/03/2007 > 07/04/2007

« Je peins donc nous sommes »
L’humanité de l’art selon Pol Piérart


Par Julie Bawin

Pol Piérart à la galerie Jacques Cérami
3 mars – 7 avril 2007



S’il est un artiste qu’aucune considération de mode ne semble détourner du chemin qu’il s’est déterminé à suivre, c’est bien Pol Piérart. A l’écart, presque en secret, il développe une œuvre constante et cohérente qui a ceci d’imprévisible qu’elle continue de retenir le regard, de bousculer nos habitudes de vision et de mettre un terme, provisoirement, au triomphe de la démonstration. Au fil de ses expositions, on demeure toujours conquis par les petites trouvailles d’un homme qui, s’il n’aime guère la parole publique, joue habilement avec les mots, l’ironie des glissements de sens et la fantaisie des sous-entendus. A la galerie Jacques Cérami, où il expose jusqu’au 7 avril, Piérart a choisi le parti de la concentration : quatre toiles épinglées aux murs et, dans le bureau du galeriste, quelques photographies. De sa peinture, l’artiste dit qu’elle lui permet d’aller directement à l’essentiel, qu’elle l’autorise à saisir la présence physique du mot. Ainsi, contrairement à ses photographies qui apostrophent l’attention par des modes d’association doués de sens et par une mise en scène d’aphorismes et autres jeux de langage, les toiles surprennent par une grande économie de moyens et par une syntaxe rythmique se limitant à un seul mot. Dans la couleur fraîche, le peintre trace rapidement les lettres normalisées que comporte un terme apparemment anodin. Qui connaît un peu l’artiste n’ignore pas la suite : par un jeu de biffage, de traits superposés et de lettres trafiquées, le mot initialement écrit prend un autre sens et incite à toutes sortes de lectures, d’excursions et de détours. En comète, les lettres zigzaguent dans nos pensées. Elles vont vite, elles touchent juste et, sans s’embarrasser d’esthétisme ou de virtuosité technique, elles s’accordent avec l’ironie détachée du message délivré. Si l’exercice de style prête à sourire, il y a néanmoins, derrière l’apparente légèreté des interférences sémantiques, une gravité qui s’avoue à peine, quelque chose de passablement inquiétant. Il peut être de l’ordre de l’effacement d’une lettre, d’une rature à peine perceptible ou, plus brusquement, du renversement de sens qu’opèrent les lettres trafiquées. Sans en avoir l’air, l’artiste tire le regardeur par la manche pour le faire réfléchir et l’incite à compléter ses manipulations polysémiques par d’autres projections, d’autres transpositions de langage. Avec pour conviction centrale que la peinture est « un moyen et non une fin » et que son éloquence viendra d’une simplicité graphique et d’une syntaxe plastique libre de toute contrainte esthétique, Pol Piérart ne cherche pas à faire de l’art un événement ou un opus. Plus proche de la formule duchampienne « ce sont les regardeurs qui font les tableaux » et de la notion d’inachèvement chère à Cézanne, il exploite un caractère d’ébauche et une spontanéité gestuelle qui laisse à l’œuvre la marge d’un possible devenir. C’est là l’un des caractères propre à l’artiste : il fait de l’art pour demeurer en accord avec l’inévitable imperfection de l’entreprise humaine.
A jamais traversée de désir et d’insatisfaction, sa peinture vibre d’un geste délié et d’une matière qui unit le mot à la couleur. La couleur, justement. On n’en parle que trop peu. Pourtant, elle est une préoccupation majeure de Pol Piérart. Elle est la matrice du mot qui surgit, elle est la trace de l’expérience physique du peintre. Tout en nuances, elle garantit, au même titre que les variations de traits et la graphie imparfaite, l’aspect inachevé de son travail. S’éloignant de la couleur pure, l’artiste opte pour des dégradés de valeur et des teintes passées, presque transparentes. Le plaisir des nuances ne doit cependant rien au sensualisme chromatique que l’on reconnaît chez d’autres peintres. Pour Piérart, l’emploi de la couleur ne se tient ni dans la séduction, ni dans l’illustration du propos. Si elle se subdivise en gamme de nuances, c’est simplement parce que l’artiste s’interdit de négliger l’infinie variété des choses et des êtres ; c’est parce qu’il est convaincu que la couleur, celle qu’il applique par couches successives, doit être à la mesure de la mutabilité et de l’irrationalité de la nature.
Dans l’exposition actuelle, les œuvres, sans cadre ni châssis, se partagent des surfaces recouvertes d’un gris de lin virant au lilas sale ou d’un rouge vermillon glissant vers le roux de la terre de Sienne. Sur l’une d’entre elles, on voit s’inscrire le mot SOUVENIR, avant de voir surgir le mot SURVENIR. La connexion entre les deux termes est évidente et pourtant, aussi irréfutable soit l’évidence, elle jette dans un état étrange, qui n’est ni contemplation ni incompréhension, mais la sensation que le souvenir survient de part et d’autre de la toile. Plus explicitement que les mots eux mêmes, l’irruption de la mémoire se rencontre dans la vitesse d’exécution ; dans les lettres qui, comme la naissance d’une pensée, viennent brusquement se caler vers le bord droit de la surface ; dans la fugacité et la spontanéité du geste pictural ; et, surtout, dans le froissement de la toile de coton qui fait penser aux rides d’une peau singulière, faite de souvenirs et de petites mémoires intimes. Promise au désordre des sentiments et à d’infinies orchestrations sémantiques, la peinture de Pol Piérart est décidément inclassable est c’est sans doute la raison pour laquelle elle résiste sans peine aux recettes sûres, aux succès éphémères et aux accidents de la mode.


Publié dans le n° 34 de l\\\'art même