Iris Hutegger

Oeuvres


Je prends mes photos de paysages en technique analogique et j’agrandis les negatifs sur papier photo en noir et blanc.
Les photographies sont ensuite mises en forme avec un assortiment de fils de couleurs qui sont cousus à même l’image avec une machine à coudre.
Avec cette technique les fils se mélangent sur l’image créant une perception de profondeur et une illusion de consistance. La manipulation des photographies transforme le paysage en “une réelle image de fiction”

La couture détruit à la fois l’image et en recrée une. Quand je prends une photo, je choisis une zone où l’identification site-spécifique de l’endroit est réduite. Dans ces photos, on n’observe aucune personne ni aucune trace d’ intervention humaine.

Je suis fascinée par le sujet de la perception, les questions de la réalité et de l’illusion, de localisation et de délocalisation. La photographie analogique avec son point de réference dans le monde réel est nécessaire afin que je puisse jouer avec la perception et l’illusion en manipulant l’image par la couture.

Regarder le paysage, c’est regarder l’immensité, loin de soi-même. Le regard est défini par la distance, l’immensité et la profondeur. Sans distance, le paysage disparaît. La distance sépare mais en même temps elle révèle la vue.
Etre capable de voir les paysages représente aussi un effort mental d’identifier les structures individuelles et de les combiner en un tout synthétique. La relation entre la distance et la synthèse conduit à une experience visuelle déclenchant la perception de l’espace et en fait une experience substantielle

Quand je parle du paysage, je ne veux pas dire la nature. Le paysage de mon point de vue est un espace mental, une experience, l’imagination et la construction. Par tout cela, je comprends à la fois une réalisation culturelle et une solution individuelle.
Iris Hutegger.

Ceci n est pas un paysage ,
Soumise à l’inventivité sophistiquée et sans contrainte d’aujourd’hui, l’image se ressource parfois et se nourrit en profondeur. C’est le cas des œuvres d’Iris Hutteger qui décline ses impressions de montagne au gré d’une exposition subtile et prenante. Cette Autrichienne d’une cinquantaine d’années, basée à Bâle, commence par photographier les montagnes autour d’elle, sous tous les angles. De près, de loin, avec ou sans cascades, tout en cimes et en saillies rocheuses, parfois ourlées d’herbe drue, elles apparaissent dénuées de pittoresque, objectives, impersonnelles mais paradoxalement intrigantes, caressantes, conduisant l’œil vers l’affirmation-titre de l’exposition : .
Après avoir imprimé les négatifs en noir et blanc de manière à vider ces masses montagneuses de leur réalité géologique et naturelle, elle ne garde qu’une structure paysagère aux contrastes inversés, où les gris sont très présents et les blancs, éblouissants, surexposés. La densité compacte des montagnes y est comme distendue, écartelée pour accueillir la pensée de l’immensité, de l’infini et de la lumière, tout en restant parfaitement identifiable. Ce sont toujours des paysages mais en creux, dirait-on, traversés par l’œil et rehaussés, là est la trouvaille, d’un très parcimonieux et stratégique travail de… couture au tout petit point et au fil de couleur.
Ainsi la surface rocheuse se couvre-t-elle d’une rugosité perceptible, comme une végétation rase aux rouges, aux verts, aux jaunes sourds mais intenses, ou comme une résille de tout petits traits qui, en illuminant la composition, égare et questionne l’œil. Ce travail conceptuel de dépouillement doit sa précieuse et silencieuse sensibilité picturale à ce discret rehaut cousu qui, tantôt, joue le jeu de l’illusionnisme, tantôt le contrarie au profit d’une réflexion sur le rapport entre le paysage et sa représentation. Ce n’est plus de la photo, encore moins de la peinture ou de la broderie mais une manipulation plasticienne de l’image qui pose la question de la réalité et de l’illusion.
Devant ces images que l’artiste explore en creux, minimalistes et dépouillées, vibrant d’une belle lumière intérieure, quelque chose se passe indéniablement, qui, c’est plutôt rare dans ce registre, persiste et s’amplifie dans le temps. Plus on les regarde, plus ces montagnes font leur chemin en subtile et silencieuse beauté.

Danièle Gillemon 26 février 2014




http://irishutegger.ch/content/
vita – ih_engl_2020-3.pdf