La prière du cœur

Philippe Herbet
12/04/2022 > 23/04/2022

Philippe Herbet


LA PRIÈRE DU COEUR
Projet photographique de Philippe Herbet



Comprendre et ne pas juger.
Georges Simenon




Les Récits d’un pèlerin russe est un livre anonyme russe de la fin du XIXe siècle. Cet ouvrage décrit l’errance d’un pèlerin dans les campagnes de la Russie profonde, projetant d’aller à Jérusalem. Le pèlerin récite sans cesse, comme un mantra, la Prière du Coeur. Cette prière est une dévotion chrétienne orthodoxe, courte, répétée en permanence au rythme de la respiration et de la marche. On pourrait rapprocher cette pratique de l’hindouisme, du bouddhisme et même de l’Islam.

Господи Исусе Христе, Сыне Божий, помилуй мя грешнаго.

Lors de ma précédente série Albert Dadas, lors de mes incessantes marches à travers l’Europe en suivant l’itinéraire du premier fou voyageur, je m’étais mis à réciter la prière du coeur. Et, peu à peu je m’étais défait de la peau d’Albert Dadas pour me glisser dans celle du pèlerin russe ou d’un pèlerin russe. J’avais donc projeté de marcher en suivant cette ligne de fracture entre religions chrétiennes orientales et l’Islam, plus précisément le soufisme.

Dans la religion islamique, il y a également une mystique du coeur et une invocation courte que l’on répète à l’infini, comme le font non seulement les derviches hurleurs, mais aussi les musulmans que j’avais rencontrés dans la mosquée Yavuv Sultan Selim à Istanbul.

لا إله إلا الله

J’ai donc débuté ce nouveau projet par Istanbul, là où se croisent plusieurs religions et qui est un point de passage entre la mystique chrétienne orientale et islamique. Durant un mois, muni d’un chapelet à 99 grains et de mon appareil de photographie, j’ai erré dans les rues de la Sublime Porte en récitant discrètement, tour à tour, la prière du coeur orthodoxe et celle des musulmans. J’ai fréquenté les lieux de culte : églises arméniennes et orthodoxes, tekkés et mosquées. Des heures et des heures de marche en ville en photographiant à la fois la beauté mystique et ce qui interrogeait mon regard, voire ce qui pouvait me choquer.
Je ne voulais pas réaliser un reportage, encore moins provoquer qui que ce soit, mais vivre une expérience mystique et la partager. Si en islam l’image est totalement exclue du domaine religieux, dans les religions chrétiennes orientales l’icône est un objet d’essence divine ; chez les taôïstes, la présence du Tao est dans toute chose animée et inanimée. J’ai donc pris ce risque d’être contradictoire en photographiant, mais la contradiction est partie intégrante de notre humanité.

Quand les conditions sanitaires le permettront, je voudrais poursuivre ce pèlerinage vers l’Orient, par la Syrie, l’Arménie, l’Azerbaïdjan, une partie de la Russie, les républiques d’Asie Centrale et, sans doute, la Chine où je voudrais aborder bouddhisme et taoïsme. Le monde est toujours vaste, divers, les vérités multiples et la poésie partout.