Voyages en Italie

Michel Couturier
14/10/2022 > 30/10/2022

Michel Couturier


Michel Couturier
Voyages en Italie
Galerie Jacques Cerami
Curateurs Nancy Casielles & Jacques Cerami

L’exposition Voyages en Italie présente trois vidéos récentes de l’artiste qui explorent des interstices de Rome et de la Sicile pour scruter une réalité italienne bien lointaine de celle véhiculée par les guides touristiques.

Mieux connu pour ses dessins de structures urbaines, Michel Couturier a pourtant entamé son travail artistique à la fin des années ’70 par de la vidéo et de la photographie. Les silhouettes découpées de pylônes, paraboles et autres objets typiques des paysages contemporains qu’il révèle dans ses dessins à partir de 2008 proviennent de ces premiers travaux.

La vidéo apparaît en Belgique au début des années 70 avec des documentaires et des films d’artistes. Grâce à des outils d’enregistrements faciles et peu coûteux , elle permet un accès à l’image filmée plus direct que la pellicule. Michel Couturier fait partie de cette génération qui assiste à la naissance d’un nouveau médium. Il est un spectateur assidu de l’émission Vidéographie de la RTBF-Liège qui diffuse, pour la première fois en Europe, entre 1976 et 1986, de l’art vidéo international. Cette émission deviendra par la suite une structure de production pour les artistes. Tout en rêvant de cinéma, particulièrement fasciné par Pasolini et Godard, Michel Couturier réalise quelques reportages pour la télévision et ses premières productions personnelles. En 1989, il réalise avec Marc-Emmanuel Mélon un vidéo-film sur les sculptures funéraires des grands cimetières européens, qui le place dans le sillage du documentaire poétique .

Le travail vidéo de Michel Couturier s’apparente au tableau vivant. Il réalise des prises de vue en continu qu’il juxtapose à la manière d’un diaporama. Il est imprégné par les longs plans-séquence et l’immobilité des espaces cinématographiques de Pasolini.
Héritée du documentaire, cette approche permet l’immersion et la contemplation de réalités complexes. Pour l’artiste, cette manière de procéder en plans fixes, comme pour la photographie, induit la distance nécessaire avec le sujet, voire une forme de neutralité. A cette démarche de témoignage s’ajoute, au montage, un regard empreint de poésie et d’humour. Ceux-ci sont induits par le rythme, les contrastes entre les scènes, les artifices visuels et sonores ainsi que par les moments de silence et de contemplation absolue, au travers de plans particulièrement soignés.

Le titre de l’exposition, Voyages en Italie, évoque tant les carnets de voyage de Stendhal que le tube du groupe français Lilicub, sorti en 1994. Il agit, dans l’exposition, comme un contrepoint au travail de Michel Couturier qui cherche à sortir d’une vision fantasmée de l’Italie en privilégiant les à-côtés et les lieux rarement observés. La poésie et l’humour de l’artiste tiennent notamment au fait qu’il est soucieux de révéler ces endroits par de belles images. L’artiste impose un arrêt sur des paysages et des scènes banales d’où émergent, parfois, l’incongru.

L’enlèvement de Proserpine, 2018 – 7’45’’
Vidéo 4K sonore
Montage sonore : Yannick Franck / Étalonnage des couleurs : Miléna Trivier
Réalisé avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles et la collaboration de l'association Arte Contemporanea, Catane, Italie.

La légende raconte que Pluton a enlevé Proserpine pour le conduire aux enfers sur les rives du lac de Pergusa. Sur base de ce mythe étiologique qui justifie la temporalité des saisons, Michel Couturier explore les alentours du lac situé en Sicile. La dualité dont joue l’artiste entre passé et présent, mythe et réalité, vitesse et lenteur est accentuée par la bande sonore qui transforme le paysage en un personnage muet porteur d’une menace à venir.

Aujourd’hui, le lac est situé aux côtés d’un circuit automobile quasiment déserté. Il devient la métaphore des enfers, la part gagnée par la civilisation sur la nature dans un récit aux accents écologiques. Les éléments urbains chers à l’artiste tels les caméras de surveillance, les pylônes électriques, les éclairages publics et les panneaux de signalisation révèlent la réalité du paysage contemporain. Michel Couturier, notamment par la colorimétrie adoptée, parvient à montrer cette réalité telle une fresque fantastique.

Un royaume sans frontière, 2018 – 8’04’’
Vidéo 4K sonore
Montage sonore : Yannick Franck / Étalonnage des couleurs : Miléna Trivier
Réalisé avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles et la collaboration de l'association Arte Contemporanea, Catane, Italie.

Dans cette vidéo, Michel Couturier explore les quais des ports de la Sicile situés stratégiquement au cœur de la Méditerranée. L’atmosphère qui se dégage de ces lieux où transitent de nombreuses marchandises est oppressante. La sécurité et le contrôle y sont omnipotents. L’architecture qui s’y déploie est écrasante de même que l’ambiance sonore qui y règne. Ces images reflètent l’arrière-décor d’une société mondialisée et condensent les éléments d’oppression déjà présents dans l’espace public des villes contemporaines.

Néanmoins, Michel Couturier rend également compte de l’esthétique fascinante que dégage l’ensemble de ces structures. Elles deviennent les personnages standardisés de ces zones complètement déshumanisées. En contrepoint, des oiseaux évoluent librement dans un royaume sans frontières.

la friche, la galaxie, 2022 – 9’20’’
Vidéo 4K sonore
Étalonnage : Miléna Trivier, Bruits asbl

Les plans de cette dernière réalisation de Michel Couturier ont été filmés à Rome. Les premiers repérages de l’artiste se font dans la littérature. Ils s’effectuent ensuite sur place avec minutie. Son intérêt pour les à-côtés est motivé par sa volonté de contrebalancer les images véhiculées sur les réseaux sociaux et guides touristiques, surtout lorsqu’on aborde une ville comme Rome. Il a cherché les terrains vagues sur lesquels Fellini ou Pasolini se seraient arrêtés aujourd’hui et a opté pour l’Est de Rome et ses quartiers populaires. Michel Couturier a également capturé les visages des bas-reliefs qui ornent les tombes de la Via Appia. Ils sont situés à la sortie de la ville, au sud-est, car il était interdit à l’époque romaine d’enterrer les morts au sein de la capitale. Ces visages dévastés par le temps renvoient à l’histoire singulière de ces ruines. Ils agissent dans la vidéo de l’artiste comme des témoins d’une mémoire mais également, dans une dimension plus politique, comme des observateurs/commentateurs d’une réalité actuelle.

Cette création de Michel Couturier reflète la dualité recherchée par l’artiste entre nature et culture, réalité et fiction, patrimoine et urbanisation, poésie et prosaïsme. Elle se traduit par une succession de plans filmés qui s’appuient sur le genre du paysage pour en révéler la déchéance, l’incongruité et même la poésie. Le dernier plan campe un champ de coquelicots, signe d’espérance au sein d’un environnement fragmenté. Nancy Casielles