Coll Tomeu

Oeuvres


Suburbia - Le cercle reste intact
Photographies de Tomeu Coll


Une ville dans une ville dans un pays inconnu. Un endroit qui n’existe pas tant que vous ne le regardez pas en face. Droit dans les yeux. Les banlieues ne sont pas seulement les territoires autour des villes, elles représentent également toutes les facettes d’une réalité que nous sommes tous censés vivre. D’un homme qui se défend avec son masque à gaz fait maison sur une île à une femme qui dort dans un bus Greyhound en route vers le New Jersey. Rien n’est ce qu’il paraît et rien ne s’est vraiment passé. La banlieue se situe entre la réalité et la fiction, la banlieue est un rêve et un cauchemar fait de piqûres. La banlieue est mes yeux pleins de poussière.



Tomeu Coll, 2019


Garry Winogrand dit « Ce que fait une photographie, c’est décrire la lumière sur une surface. Rien de plus. Et il nous est impossible d’en savoir plus, sur qui que ce soit. » C’est une dérobade. La photographie ne doit pas nécessairement dire quelque chose sur la personne ou les objets qu’elle représente. Toute vraie photographie, qui dépasse la simple représentation, dit quelque chose sur le photographe – ce que le photographe voit, ce que le photographe veut que nous voyions, ce que le photographe ressent au moment où il appuie sur le déclencheur. L’image capturée peut révéler les secrets les plus sombres de l’âme du photographe. La photo est le photographe.
Alors, regardez ces images. Regardez les habitants de la Suburbia – la Banlieue – de Tomeu Coll. C’est facile de fustiger les banlieues et les pauvres âmes qui y vivent. Des écrivains, des photographes, des réalisateurs le font depuis toujours. Mȇme le mot « suburbia » est une insulte. Les Romains l’ont inventé. Ils savaient, il y a deux mille ans, ce qu’étaient vraiment ces colonies en dehors des villes. Ils savaient : « sub » veut dire sous, « urb » veut dire la ville. Ces endroits étaient en bas. Les Enfers. L’enfer. À l’époque comme aujourd’hui. Mais Coll n’insulte pas les gens qu’il photographie. Il ne donne pas dans le coup bas. Ce Bulgare aveugle aux yeux vitreux qui mendie dans les rues de Venise ? Ce visage sanglant au regard pénétrant? Cet homme assis sur un fauteuil à bascule, une arme à la main, qui attend ? Ce couple qui, tout occupé à s’embrasser, ne remarque même pas l’incendie d’une benne à ordures ? Ce sans-abri tout contorsionné, évanoui sur un banc de métro ? Des zombies ? Des fantômes ? Des monstres ? Non, pas du tout, Coll se garde bien de les tourner en ridicule. Il cite Nietzsche: « Quiconque lutte contre des monstres devrait prendre garde, dans le combat, à ne pas devenir monstre lui-même. Et quant à celui qui scrute le fond de l’abysse, l’abysse le scrute à son tour. » Mais quand Coll fait une photographie, la relation de cause à effet établie par Nietzsche est inversée. L’appareil photo, cette boîte noir, l’abysse lui-même, projette les monstres personnels de Coll sur ses sujets. Il décrit les instants qu’il saisit comme des portes d’entrée dans son monde, sa Suburbia, une nouvelle dimension dans laquelle son âme, ses démons, son espoir, le relient à ce qu’il voit. Ces gens sont lui, des images projetées de tous les extrêmes, terribles et misérables, qui existent en lui-même. Ils deviennent des expressions de son humanité – son acceptation de lui-même et des autres en tant qu’êtres à part entière malgré leurs failles.


Joseph E. Reid 2019
Suburbia – The circle remains unbroken
Photographs by Tomeu Coll

Acity within a city within a nobody\'s land. A place that doesn\'t exist until you see it face to face. Straight to it\'s eyes. Suburbia aren\'t only those territories surrounding the cities, they are also every single corner of a supposed reality we all live. From a man defending himself with it\'s own handmade gas-mask in an island, to a woman sleeping on a Greyhound bus on it\'s way to New Jersey. Nothing is what it seems and nothing really ever happened. Suburbia lies between reality and fiction, suburbia is a dream and a nightmare made of stings. Suburbia are my eyes full of dust.

Tomeu Coll, 2019

Garry Winogrand said, \"All a photograph ever does is describe light on surface. That’s all there is. And that’s all we ever know about anybody.\" This is an evasion. The photograph doesn’t have to be about the person or the objects in the photograph. Any true photograph, one that reaches beyond simple representation, is about the photographer – what the photographer sees, what the photographer wants you to see, what the photographer feels at the moment of pressing the shutter. The captured image can show the darkest secrets of the photographer’s soul. That picture is the photographer.
Now, look at these pictures. Look at the occupants of Tomeu Coll’s Suburbia. It’s easy to beat up on suburbs and the poor souls who live in them. Writers, photographers, filmmakers have been doing it forever. Even the word itself is an insult. The Romans came up with it. They knew, two thousand years ago, what those settlements outside cities really were. They knew: “sub” equals under, “urb” equals city. Those places were down there. Hades. Hell. Then and now. But Coll isn’t beating up on the people he photographs. No, he’s not taking cheap shots. That glassy-eyed, blind Bulgarian man begging in the streets of Venice? The bloody face with the penetrating eye? The man with a gun, sitting in a rocking chair, waiting? The couple making out, oblivious to a dumpster fire? That contorted, homeless man passed out on a subway bench? Zombies? Ghosts? Monsters? No, none of that, and they’re not objects of Coll’s ridicule. He points to the famous line from Nietzsche, “Beware that, when fighting monsters, you yourself do not become a monster... for when you gaze long into the abyss. The abyss gazes also into you.” But when Coll trips the shutter, Nietzshche’s cause and effect are flipped. The camera, the black box, the abyss itself, projects Coll’s personal monsters onto his subjects. He describes the moments he captures as gates to his world, his Suburbia, another dimension where his soul, his demons, his hope, connect him with what he sees. These people are him, projected images of all the dreadful, wretched extremes that exist in himself. They become expressions of his humanity -- his acceptance of himself and others as valid beings in spite of their faults.

Joseph E.Reid, 2019